Menu

Vilhelm Bjerke-Petersen

1935-01-07

Sender

André Breton

Document content

Awaiting summary

Transcription

Paris le 7 janvier 1935.

Cher Monsieur,

à la demande de M. Erik Olson, je vous adresse en toute hâte la préface au catalogue de l'exposition surréaliste que vous organisez à Copenhague (M. Olson vous aura dit qu'à Minotaure [understreget] on ne m'a pas fait prendre connaissance de vos lettres, de sorte qu'avant sa visite j'avais [ord overstreget] été instruit très sommairement de votre projet). J'espère pourtant ne pas arriver trop tard et ne pas vous embarrasser outre mesure en vous faisant parvenir un texte assez long. Dans l'ignorance oú je suis de la langue danoise, j'ai dû me borner á feuilletter votre bel ouvrage "Surrealismen" et quelques numéros de "Linien". J'y ai pris pourtant une conscience suffisante de votre effort pour désirer ne pas vous fournir seulement quelques lignes de circonstance: il en a résulté une espèce de manifeste. Si ses dimensions excédaient vos possibilités, je vous serais reconnaissant de me le retourner mais je m'excuse de vous prier de n'y pratiquer aucune coupure. Il est, bien entendu, completement inédit en francais et je le reproduirai à l'occation dans cette langue si vous n'avez pas l'intention de le faire vous-même. J'espère que vous ne rencontrerez pas de trop graves difficultés de traduction (les mots les plus difficiles me paraissent être: "onirique" = dépendant de l'activité de rêve, "fidéisme" = attitude qui consiste à faire passer la foi avant la raison. Pardon de ces précisions [udtværet ord] être superflues.)

Les photographies d'autres surréalistes demandées ont du déjà vous parvenir. Vous me ferez le plus grand plaisir en m'adressant une trentaine d'exemplaires du catalogue et en me tenant au courant de toute votre activité.

Veuillez agréer, cher Monsieur, l'expression de de mes sentiments les plus amicalement dévoués.

André Breton

André Breton 42 rue Fontaine PARIS (IXe)

[Side 2]

PRÉFACE

On sait la critique fondamentale qu'ont fait subir Marx et Engels au matérialisme du XVIIIe siècle: 1: la conception des anciens matérialistes était "mécaniste", 2: elle était métaphysique (en raison du caractère anti-dialectique de leur philosophie), 3: elle n'excluait pas tout idéalisme, celui-ci subsistant "en haut", dans le domaine de la science sociale (inintelligence du matérialisme historique). Il est bien entendu que sur tous les autres points l'accord de Marx et Engels avec les anciens matérialistes ne peut prêter à aucune contestation. 1

Le surréalisme [understreget] n'éprouve, pareillement, aucune difficulté, dans le domaine qui lui est propre, à désigner les "bornes" qui limitaient non seulement les moyens d'expression mais aussi la pensée des écrivains et artistes realistes, à justifier de la nécessité historique où il s'est trouvé d'éliminer ces bornes, à établir qu'à l'issue de cette entreprise ne peut éclater aucune divergence entre le vieux réalisme et lui quant à la reconnaissance du réel, à l'affirmation de la toute-puissance du réel. Contrairement à ce qui insinuent certains de ses défracteurs, il est aisé, comme on va voir, de démontrer que, de tous les mouvements spécifiquement intellectuels qui se sont suicidés jusqu'à ce jour, il est le seul à s'être premuni contre toute velléité de fantaisie idéaliste, le seul à avoir prémédité dans l'art de règler définitivement son compte au "fidéisme".

S'il s'avére que deux démarches spirituelles à première vue aussi distinctes que les précédentes présentent un tel parallélisme et poursuivent, ne serait-ce que dans l'ordre négatif une telle fin commune, il est trop évident que [ord overstreget] l'argumentation qui tend à les opposer l'une à l'autre, à les faire tenir pour incompatibles du point de vue révolutionnaire, ne peut que misérablement s'effondrer.

Or, dans la période moderne, la peinture, par exemple, jusqu'à ces dernières années, s'était presque exclusivement préoccupée d'exprimer les rapports manifestes qui existent entre la perception extérieure et le moi [understreget]. L'expression de cette relation s'est montrée de moins en moins suffisante, de plus en plus décevante au fur et à mesure que, tournant en rond sur elle-même, il lui devenait plus interdit de prétendre chez l'homme à l'élargissement, plus encore, par définition, à l'approfondissement du système "perception - conscience". C'était là, en effet, tel qu'il se offrait alors, un système clos dans lequel se trouvaient epuisées depuis longtemps les plus intéressantes possibilités réactionnelles de l'artiste, et qui ne laissait subsister que cet extravagant souci de divinisation de l'objet extérieur dont l'oeuvre de maint grand peintre dit "réaliste" porte la marque. La photographie, en mécanisant à l'extrême le mode plastique de figuration, devait lui porter par ailleurs un coup décisif. Faute de pouvoir accepter avec elle une lutte par avance décourageante, force fut à la peinture de battre en retraite pour se retrancher, d'une manière inexpugnable, derrière la nécessicité d'exprimer visuellement la perception interne. Il faut bien dire que par là elle se trouvait contrainte à prendre possession d'une terrain en friches. Mais je ne saurais trop insister sur le fait que ce lieu d'exil était le seul qui lui fût laissé. Reste a savoir ce que promettait son sol et dès maintenant ce qu'il a tenu.

Du fait même que l'image de l'objet extérieur était mécaniquement captée dans des conditions de ressemblance immédiate satisfaisante et, du reste, indéfiniment perfectible, la figuration de cet objet devait cesser d'apparaître au peintre comme une fin (le cinéma devait opérer une résolution analogue pour la sculpture). Le seul domaine exploitable par l'artiste devenait celui de la représentation mentale pure, tel qu'il s'étend au delà de celui de la perception vraie, sans pour cela ne faire qu'un avec le domaine hallucinatoire. Mais ici il faut bien reconnaitre que les séparations sont mals établies, que toute tentative de délimitation précise dévient l'objet de litige. L'important est que l'appel à la représentation mentale (hors de la présence physique de l'objet) fournit, comme a dit Freud, "des sensations en rapport avec des processus se déroulant dans les couches les plus diverses, voire les plus profondes, de l'apparail psychique"2. En art, la recherche nécessairement de plus en plus systématique de ces sensations travaille à l'abolition du moi [understreget] dans le soi [understreget], s'efforce par suite de faire prédominer de plus en plus nettement le "principe du plaisir" sur le "principe de réalité". Elle tend à libérer de plus en plus l'impulsion instinctive, à abattre la barrière qui se dresse devant l'homme civilisé, barrière qu'ignorent le primitif et l'enfant. La portée d'une telle attitude, étant données, d'une part, le bouleversement général de la sensibilité qu'elle entraîne (propagation de charges psychiques considérables aux éléments du système "perception - conscience"), d'autre part l'impossibilité de régression au stade antérieure, est

[streg]

1) Cf. Lénine: Matérialisme et empériocritisme, [understreget] chapître IV, 7.
2) Freud: Essais de psychanalyse [understreget]. Le Moi et le Soi.

[s. 2]

socialement incalculable.

Est-ce à dire que la réalité du monde extérieur est devenue sujette à caution pour l'artiste, contraint de puiser les éléments de son intervention spécifique dans la perception interne? Le soutenir serait d'une grande indigence de pensée ou d'une extrême mauvaise foi. Pas plus dans le domaine mental que dans le domaine physique, il est assez clair qu'il ne saurait être question de "géneration spontanée". Les créations apparemment les plus libres des peintres surréalistes ne peuvent naturellement venir au jour que moyennant le retour par eux à des "restes visuels" provenant de la perception externe. C'est seulement dans le travail de regroupement de ces éléments désorganisés que s'exprime, en ce qu'elle a à la fois d'individuel et de collectif, leur revendication. Le génie éventuel de ces peintres tient moins à la nouveauté toujours relative dés materiaux qu'ils mettent en oeuvre qu'a l'initiative plus ou moins grande dont ils font preuve lorsqu'il s'agit de tirer parti de ces matériaux.

Aussi tout l'effort technique du surréalisme, de ses origines à ce jour, a-te-il consisté à multiplier les voies de pénétration des couches les plus profondes du mental. "Je dis qu'il faut être voyant [understreget], se faire voyant": il ne se agi pour nous que de decouvrir les moyens de mettre en application ce mots d'ordre d'Arthur Rimbaud. Au premier rang de ceux de ces moyens dont l'efficacité a été ces dernières années pleinement éprouvée figurent l'automatisme psychique [understreget] sous toutes ces formes (au peintre s'offre un monde de possibilités qui va de l'abandon pur et simple à l'impulsion graphique jusqu'à la fixation en trompe-l'oeil des images de rêve) ainsi que l'activité "paranoiaque-critique" définie par Salvador Dali: "méthode spontanée de "connaissance irrationnelle" basée sur l'objectivation critique et systématique des associations et interprétations délirantes". On sait [ord overstreget] quel rôle déterminant, dans la création de cette optique artistique toute nouvelle, ont joué les "collages" et "frottages" de Max Ernst, comme aussi l'apparition des "objets à fonctionnement symbolique (d'origine automatique ou onirique) promus à la vie concrète, par suite d'une première démarche d'Alberto Giacometti.

La prédétermination chez l'homme du but à atteindre, si ce but est de l'ordre de la connaissance, et l'adaptation rationelle des moyens à ce but pourraient suffire à le défendre contre toute accusation de mysticisme. Nous disons que l'art d'imitation (de lieux, de scènes, d'objets extérieurs) a fait son temps et que le problème artistique consiste aujourd'hui à amener la représentation mentale à une précision de plus en plus objective, par l'exercise volontaire de l'imagination et de la mémoire (étant bien entendu que seule la perception externe a permis l'acquisition involontaire des matériaux dont la représentation mentale est appelée à se servir). Le plus grand bénéfice qu'à ce jour le surréalisme ait tiré de cette suite d'opération est d'avoir réuissi à concilier dialectiquement [understreget] ces deux termes violemment contradictoîres pour l'homme adulte: perception, représentation; d'avoir jeté un pont sur l'abîme qui les séparait. La peinture et la construction surréalistes ont dès maintenant permis, autour d'éléments subjectifs, l'organisation de pérceptions à tendance objective. Ces perceptions, de par leur tendance même à se donner pour [ord overstreget] objective, présentent un caractère bouleversant, révolutionnaire en ce sens qu'elles appellent impérieusement, dans la réalité extérieure, quelque chose qui leur répondre. On peut prévoir que, dans une large mesure, ce quelque chose sera [understreget].

Depuis plusieurs années le destin de cette idée à cessé de se jouer en un seul point du globe et ceux qui en ont été les premiers dépositaires la voient aujourd'hui avec émotion suivre son chemin difficile mais sûr, non plus seulement à Paris, mais à Copenhague, comme à Barcelone, à Londres, à Bruxelles, à Prague, à Belgrade, à New York, à Buenos Ayres, à Tokio. Elle brille de tout son éclat, de la lumière du sel, à travers les oeuvres des nos amis Vilh. Bjerke-Petersen, Erik Olson, Eiler Bille, Richard S. Mortensen qui ont convié fraternellement à se joindre à eux les artistes surréalistes résidant en France et nous rend de la sorte plus impatients des confrontations ultérieures, toujours plus générales et plus attentives, auxquelles se prêtent les désirs qui enflamment l'oeil rajeuné du monde.

André Breton.

Facts

PDF
Letter

Fransk

Paris

Betegnet på brevet f.n.:

André Breton 42 rue Fontaine PARIS (IXe)

NKS 2578 folio. Det Kongelige Bibliotek.